CIGEO, UN MONUMENT PAYSAGE ? - 2018
CIGEO, de la conception d'un monument paysage ?
Cette analyse n’engage que moi mais bien que le projet de Centre industriel de stockage géologique (CIGEO) des déchets nucléaires soit hautement technique, ce n’est paradoxalement pas à l’ingénierie que l’état français semble avoir remis les clefs de la gestion sûre des déchets à haute radioactivité mais bel et bien à la planète terre personnellement.
En effet, si le projet est situé dans région Champagne-Ardenne à Bure (55) à 500 mètres sous terre c’est parce qu’à cette profondeur se trouve une couche de roche argileuse imperméable (l’argilite) choisie pour ses propriétés de confinement (faible perméabilité) sur de très longues échelles de temps mais aussi parce qu’il s’agit de l’emprise du territoire la plus stable sismiquement (analysée comme stable depuis 140 000 000 d’années) et donc la moins sujette aux tremblements de terre à l’échelle de la France.
Allemagne dans une ancienne mine de sel, Finlande et l’Inde dans le granite, Belgique dans l’argile, France dans l’argilite, Japon dans l’argile et bientôt la Chine dans le désert de Gobi, etc : le stockage en couche géologique profonde est la solution préférentielle mondiale dans le traitement des déchets nucléaires. Malgré ces limites, cette solution de stockage est actuellement jugée plus responsable (jusque dans les années 90 les déchets radioactifs français étaient immergés à au large des côtes françaises et espagnols à 4000 mètres de profondeur), plus sûre (risque d’explosion de la fusée au décollage estimé à 20% si on envoie les déchets dans l’espace) et moins chère que ces alternatives.
Malgré sa teneur scientifique, cet aspect de projet m’évoque immanquablement les jeux des enfants en bas âge qui s’amusent à enterrer des billes ou encore qui cachent l’objet de leur « sottise » dans le bacs à sable. D’un autre point de vue, spirituel dans ce cas, l’idée de confier son salut à la planète terre convoque également en moi la notion de « Pachamama » (terre-mère). La terre-mère était sacrée chez les civilisations précolombiennes et ce mythe animiste cohabite fortement encore aujourd’hui avec les rituels catholiques d’Amérique centrale et du sud. Actuellement la tradition de l’offrande à la « Pachamama » se maintient et se pratique toujours pour s’attirer ses bonnes grâces. Autre « Coïncidence » avec CIGEO, l’offrande consiste en un trou creusé dans le sol, pour y déposer de la nourriture, de la bière et des feuilles de coca, à l’attention de la terre-mère. Enfin, l’étymologie du mot « Pachamama » est également étonnante ; « pacha » étant une notion signifiant à la fois le temps et l’espace pour les incas.
A l’échelle du temps générationnel et multi-générationnel, CIGEO est prévu pour être exploité de manière progressive pendant 150 ans. Il est conçu pour être réversible pendant toute la durée de l’exploitation afin de laisser des libertés d’action (reprise des déchets en vue de leur traitement ou recyclage ?) aux générations futures qui l’exploiteront. Au bout de 150 (dit phase de terminaison), il est prévu de fermer quoi qu’il arrive le centre car les historiens qui travaillent sur ce projet ont estimé qu’une société ne restait pas stable politiquement au-delà cette limite. Après 150 ans, le risque de guerre ou d’instabilité sociétale augmente de façon exponentielle et rendrait donc la gestion d’un équipement d’une telle ampleur trop difficile.
Dans le documentaire « Voyage aux pays des déchets nucléaires » , réalisé par Edgar Hagen en 2013, Charles Mc Combie, physicien atomiste et chercheur, confirme mon intuition. Il estime également nous confions la sécurisation de notre présent et de notre future à la terre et non à la science. Cet homme, pourtant précurseur dans le domaine et qui milite pour la solution dite de « l’enfouissement », explique que le chemin de l’eau peut être utilisé par les éléments radioactifs pour « s’évader » d’un site en couche géologique profonde. Si le sarcophage en béton armé arrive à être parfaitement étanche pendant les 150 ans de l’exploitation (ce qui n’a encore jamais été prouvé), il est donc fort possible que l’eau souterraine, souvent présente en profondeur, atteigne les colis nucléaires à un moment ou un autre. Pour Mc Combie, la question n’est pas de savoir si l’eau, qui est le principal « ennemi » à la sûreté des sites d’enfouissement, est présente. Selon-lui la vrai question est de déterminer en quelle quantité l’eau est présente et surtout à quelle vitesse elle s’écoule?
La sécurité à long terme de ce type de projet est en fin de compte complètement dépendant de la façon dont l’eau s’écoule dans la couche géologique, en combien de temps se déplace-t-elle vers la surface si c’est le cas, ou en combien de temps les nucléides se diffusent-elles ou migrent dans l’eau et cela même avec un courant contraire ? Ainsi, bien que ce projet de stockage de déchets nucléaires soit hautement innovant et scientifique, il n’est pas dénué de concepts « terre à terre ».
La dernière information temporelle concerne le temps « très » long des radionucléides. En effet, les déchets nucléaires de haute activité et à vie longue (HA-VL) qui seront traités à CIGEO devront être confinés pendant au moins 135 000 ans avant qu’ils deviennent non plus radioactifs mais de radioactivé non « dangereuse pour l’humanité ». Pour ramener cette notion de temps à une mesure humaine ; entre -500 000 et -50 000 ans ce sont les Homos erectus qui habitaient le surface de la planète. C’est également à cette période que l’homme a commencé à maîtriser le feu.
A cette échelle du temps long, un dispositif paysager et architectural est étudier afin de de refléter et d’évoquer « l’activité de stockage nucléaire de CIGEO » et ainsi transmettre l’existence et la mémoire de CIGEO pour les années à venir y compris quand le site sera rebouché et fermé (c’est-à-dire à ça terminaison dans 150 ans). Autrement dit cela revient à trouver un paysage qui puisse « parler » à des individus qui nous regarderons dans 135 000 ans comme nous regardons les Homos-sapiens aujourd’hui.
Travailler sur un dispositif qui reflète la mémoire de quelque chose qui n’existe pas encore, c’est-à-dire a posteriori, demeure une posture de conception assez inconfortable. Pour le site de la Descenderie, l’implanter des « stèles » en pierre est étudié à l’image des alignements de Carnac (56). Pourquoi un être humain, qu’il soit concepteur ou non, va souvent instinctivement chercher à « aligner des pierres » pour concevoir un dispositif qui rappelle la mémoire en générale et du nucléaire en particulier ? Dans le contexte du territoire d’implantation de CIGEO vallonné, agricole et bocager, la simple présence d’un grand site industriel implanté et creusé dans les champs est pour moi un « monument ».
En utilisant la définition rempruntée à l’architecture et à la sculpture, nous nous trouvons clairement avec CIGEO en la présence d’un « paysage monument ». En effet, « un monument (du latin monumentum, dérivé du verbe moneo « se remémorer ») désigne à l’origine une sculpture ou ouvrage architectural permettant de rappeler un événement ou une personne (…) ». Mais par analogie, et beaucoup plus largement, ce terme qualifie depuis tout objet qui atteste l’existence, la réalité de quelque chose et qui peut servir de témoignage, comme une langue, une peinture ou une montagne. Dans un sens commun, le terme « monument » désigne plutôt un édifice ou une structure ayant une valeur historique et culturelle ».
Notre inconscient collectif nous fait schématiquement imaginer des stéréotypes évoquant la mort (routes des esprits de Carnac, rangées de croix ans les cimetières américains de la seconde guerre mondial, etc.) ou les tableaux des vanités du début des années 1620 qui évoquaient à la fois la vie humaine et son caractère éphémère. Il n’est sans doute pas approprié de convoquer ces images dramatiques et lourdes de sens sur un site qui n’existe pas encore et qui n’a pas vocation à tourner à la catastrophe même si notre inconscient imagine et conçoit déjà le pire.
L’architecte urbaniste italienne Paola Vigano, Grand prix de l’urbanisme en 2013 travaille actuellement sur le centre de stockage belge. Elle confie lors d'une conférence aux tuileries en 2016 qu'à son grand étonnement elle s’est retrouvé à dessiner inconsciemment des modelés et des creux ressemblant étrangement aux tableaux et aux images des champs de batailles désolés de la guerre 14/18.
Ainsi, même si notre inconscient nous pousse à dramatiser les installations nucléaires et à imaginer une catastrophe potentielle, ce qui est une possibilité bien réelle quand on parle de nucléaire, je ne trouve pas approprié et opportun de dessiner « le pire » ou « le lourd » avant que celui-ci n’arrive. De plus, nous sommes ici en présence d’un centre de stockage des déchets et non dans une centrale de production nucléaire, ce qui est complètement différent par essence. L'objectif est à mon sens de trouver plutôt une composition ayant un vocabulaire et une évocation propre aux sujets de CIGEO à l’échelle du paysage : révéler et d’assumer l’identité scientifique et géologique de CIGEO par le biais de notions plus concrètes et positives.
Pourquoi ne pas s'inspirer de références paysagères qui sont, toute proportion gardée, d’échelle spatiale et temporelle similaires. Les « grands paysages sacrés » élaborés par de lointaines civilisations anciennes et dont le message, bien qu’incomplet et encore parfois incompris, a réussis à nous parvenir de nos jours sont également des références pour moi dans ce contexte de projet. Une théorie Maya prône que les lignes de nazca Mexicaines se rapportent à l’eau. Les lignes de pierres retroussées qui forment les bandes de Nazca sont ainsi peut-être des chemins surélevées par rapport à des cours d’eau aujourd’hui asséchés qui étaient utilisés pour des rituels de la pluie.
Retranscrite à l’échelle générationnelle et du quotidien, raconter l’histoire et le mécanisme long des éléments hydro-géolologique expliqués par Mc Combie semble ainsi être une piste réaliste et poétique pour composer le monument paysage CIGEO.