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LES PAYSANTS MIGRANTS - Tianjin (Chine) - 2007

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Grand pays en mouvement : les paysans migrants chinois dits « Ming-gongs »

 

Pays le plus peuplé du monde avec 1,3 milliard d’habitants, avec un PIB qui croît de 8 à 10% par an depuis plus de 10 ans, la Chine ambitionne d’être la 1ère puissance économique mondiale dans les 30 ans à venir.

 

Malheureusement, la croissance fulgurante et le développement de la Chine ne profitent pas à l’ensemble de ses habitants. La croissance ne semble pas aussi vive dans l’ensemble des provinces chinoises.

 

La Chine maritime, qui comprend des villes comme Shanghai, Pékin et Tianjin, produit jusqu’à 83% de la richesse du pays et abrite 43% de la population. Le reste du pays, quant à lui, ne fournit que 17% du Produit Intérieur Brut (PIB) du pays.

 

Depuis les années 80.90, la puissance et la richesse de la côte ont entraîné une explosion de la concentration urbaine en général et côtière plus particulièrement. D’un pays à 80% rural, la Chine va passer en quelques années à un pays à 80% urbain. En 1900, seuls 10% des chinois vivaient en ville, contre 30 à 40% aujourd’hui et peut-être 75 à 80% en 2030. A la veille d’une mutation majeure, celle de l’urbanisation d’un pays encore rural, et avec la disparition à terme de la plus grande paysannerie du monde, l’intégration des ruraux au nouveau territoire chinois est au centre des préoccupations politiques et sociétales.

 

En travaillant sur cette thématique lors de la rédaction de mon mémoire de fin d’étude de Master d’urbanisme en 2007, et aujourd’hui en tant que paysagiste conscient des enjeux socio-économiques et territoriaux contemporains ; je souhaite interroger les liens spacio-économiques existantes entre les zones urbaines et rurales, la condition d’une des plus large population rurale et nomade du monde mais aussi la sédentarisation temporaire et définitive de ces populations en ville.

 

J’ai pris le parti de me baser autant que possible sur les quelques enquêtes et interviews que j’ai réalisées durant les 4 mois et demi passés lors de mon stage en agence d’urbanisme et de paysage à Tianjin en Chine. Après plusieurs discussions avec M. Baudoui, professeur à l’Université de Genève, Docteur à l’institut d’Urbanisme et d’Etudes Politiques de Paris, mon directeur pour ce mémoire, et M. Jacques Lacoste, mon maître de stage en Chine, la question de l’intégration territoriale des paysans migrants chinois m’a semblé être une approche d’actualité pertinente.

 

J’ai constaté qu’il existe en Chine des inégalités tangibles (et intangibles) entre les urbains et les ruraux. Les ruraux, qui représentent environ 60% de la population de ce pays, arrivent difficilement à toucher un tiers de ce que gagnent les urbains et croulent également sous les taxes et impôts de certains dirigeants locaux peu scrupuleux. De plus, les zones rurales sont affectées par un chômage massif qui touche aussi bien les vieux que les jeunes. Les sujets de l’éducation et de la santé sont encore plus problématiques et révélateurs des disparités qui peuvent exister entre les zones rurales et urbaines. Alors que ces services sont quasiment gratuits en ville pour les urbains, ils sont fournis à un prix prohibitif à la campagne, quand ils ont la chance d’exister.

 

Dans une immense majorité des pays en mutation, les relations entre les secteurs urbains et ruraux sont caractérisées par un très fort dualisme économique : un secteur moderne en ville et un secteur traditionnel à la campagne. Ce « dualisme », est fortement présent en Chine.

 

Malgré quelques ruptures (historiques et politiques) comme notamment entre 1968 et 1972 sous Mao Zedong (révolution culturelle), la grande majorité des orientations stratégiques prises par les gouvernements qui se sont succédés depuis la fondation de la Chine populaire (1er octobre 1949), ont fait du développement et de l’industrialisation des villes (côtières de l’est) leur priorité, quitte à user et affaiblir les campagnes. Cette politique était basée sur le transfert des ressources et des travailleurs en provenance des zones rurales.

Au gré de leurs besoins, les villes ont absorbé la main-d’œuvre rurale et les capitaux collectés par les pouvoirs locaux des campagnes pour assurer une industrialisation rapide et bon marché. Cette politique a ensuite été réorientée vers le captage des investissements étrangers notamment sous Deng Xiaoping. Pour être aussi attrayante, la ville a depuis le début dû proposer des services et des avantages qui n’existaient pas à la campagne.

 

Mais ne pouvant offrir ces privilèges qu’à une seule et petite part de sa population, cela a entraîné la création d’une classe privilégiée (les urbains) et d’une sous-classe délaissée (les ruraux). C’est dans le but de rationner l’offre des avantages urbains et de contrôler les migrations que le Hukou (passeport urbain chinois) a été mis en place. Ce système d’état civil est à la fois une des causes ainsi que le meilleur symbole des inégalités entre les ruraux et les urbains chinois.

 

La campagne, délaissée et exploitée par les gouvernements nationaux, n’a jamais réussi à vaincre ses vieux démons qui la maintiennent dans la pauvreté depuis fort longtemps : surabondance de la main-d’œuvre rurale, manque de terres cultivables, grignotage des terres par l’urbanisation, faible mécanisation, faible productivité, choix de production peu judicieux car motivés par le profit immédiat, etc.

 

Aussi, depuis les années 50, « assiste-t-on à l’augmentation croissante d’une population dite flottante, en marge des grandes villes et ne jouissant pas des droits reconnus aux citadins et souvent en proie au mépris de ces derniers ». Depuis les années 80.90 et l’ouverture de la Chine, cette population « flottante » a augmenté de façon exponentielle. Elle atteindrait aujourd’hui le nombre de 150 millions de personnes mais les prévisions futures misent plutôt sur 200 à 300 millions de min gongs (travailleurs temporaires des villes en provenance des campagnes).

 

Le réseau de parenté, les fortes densités de populations et le chômage dans les zones rurales, et bien sûr la quête d’un meilleur revenu constituent les éléments qui poussent les paysans à migrer dans les grands centres urbains de l’est pour s’y installer durablement. Alors bien sûr, le fameux passeport interne chinois (Hukou) empêche encore et toujours aux ruraux de jouir des mêmes droits et services que les urbains, mais rien n’y fait ; l’avenir des paysans chinois se dessine bel et bien en ville...qu’ils soient considérés et reconnus comme des urbains ou pas.

 

Quoi qu’il en soit, ce nouveau groupe est devenu à la fois une force pour la croissance économique de la Chine mais également une sérieuse source d’inquiétude en termes de maintien de la paix sociale. La voix des migrants et des paysans commence à gronder de plus en plus souvent et de plus en plus violemment.

 

Les leaders chinois tentent coûte que coûte d’empêcher les migrants de rester durablement dans les grandes villes en mettant en place des logements intermédiaires et temporaires pour une force de travail qui reste nécessaire à la croissance chinoise. Mais les autorités locales détruisent systématiquement tout ce qui pourrait aider les migrants à se stabiliser durablement en ville.

 

La démolition des très organisés villages urbains et des services qui les accompagnent en est une preuve tangible. En fait, le gouvernement central incite les leaders locaux à améliorer les conditions de vie des paysans dans des campagnes urbanisées et modernisées (petites villes et villes satellites). Il semble pour le moment avoir fait le pari d’une stabilisation des min gongs à la campagne plutôt qu’une intégration ferme et définitive de ces derniers en ville.

 

Conséquence de cette politique, alors que les quartiers informels sont l’ennemi numéro un des municipalités, le spectre des bidonvilles, quant à lui, commence à planer doucement mais sûrement sur les grands centres urbains. De plus, alors que les couches moyennes et aisées chinoises voient leurs avantages et leurs droits élargis en matière d’accès au logement et à la propriété, les migrants les plus pauvres et les paysans voient les leurs bafoués.

Enchaînés administrativement à une terre qui les nourrit difficilement à défaut de les enrichir, les paysans n’en demeurent pas pour autant plus libres à la campagne qu’en ville. Ils voient ainsi régulièrement leurs fermes rasées et leurs parcelles confisquées par des autorités locales qui privilégient souvent une urbanisation aussi sauvage que rentable plutôt que le bien-être de leurs administrés.

 

La réforme du Hukou (passeport interne qui ouvre le droit aux services urbains gratuits) serait sans doute le geste le plus fort de la part des autorités pour intégrer les paysans à l’urbain mais aussi pour les intégrer tout court à la société chinoise. Mais le pas semble vraiment très difficile à franchir. Un certain nombre de contraintes idéologiques, politiques et financières rendent quasiment impossible, à court ou moyen terme, la remise en cause pratique du système d’état civil.

 

Pourtant, les autorités nationales le savent et le disent dès aujourd’hui, seule une refonte du Hukou peut garantir une parfaite reconnaissance des droits de tous les citoyens chinois, qu’ils soient urbains ou non.

 

Dans un premier temps, il semble en tous cas urgent et nécessaire de fournir aux ruraux et aux néo-urbains un certain nombre de prestations vitales (toit décent, éducation, santé, sécurité sociale, travail non précaire) auxquelles seuls les urbains ont pour l’instant accès.

 

Le constat est que cette forme de paysage habité n’est pas seulement existante mais en cours de développement exponentiel.  Les dérèglements climatiques et les conflits qui s’allument tels des foyers dans le monde semblent en être les causes. Cette question est particulièrement « active » aujourd’hui avec la présence de la jungle de Calais (62) française. Elle raisonne avec les camps de migrants chinois que j’ai explorés.

 

Qu’il s’agisse d’une emprise horizontale habitée pour un chantier de stade pour les JO de 2008, ou un gratte-ciel en construction, les paysages habités temporairement rencontrés en Chine étaient perpétuellement en fabrique de jour comme de nuit.

 

Des dortoirs, des foyers, des ouvertures, des limites, des passages naissaient ou renaissent tous les jours en fonction des besoins des chantiers ou de la vie de ces habitants. Dans ces habitats temporaires, les emprises et les formes sont plutôt stables, les usages réversibles à l’infini.

 

Le long des clôtures de chantiers, et dans les diagonales, de minces sentiers se dessinaient. Des pistes étaient ouvertes ou confortées tous les jours dans les friches urbaines et périphériques sableuses.

 

L’objectif était de rejoindre au plus court les carrefours, les trottoirs, les aires de service, les passerelles piétonnes, etc. Les migrants construisent et établissent ainsi la fluidité des espaces à l’économie et tel un cours d’eau lent mais puissant, au plus près des besoins et des opportunités offertes par les formes du paysage.

 

En Chine ou en France, malgré la vétusté de ces dispositifs cheminés et habités, je ne peux m’empêcher de me demander en tant que paysagiste, s’il ne faudrait pas participer à consolider et pérenniser au moins « temporairement » ces tissus urbains et paysagers au lieu de les laisser s’enfoncer dans la précarité.

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